MUSIQUE
Albums enregistrés par Alban Tixier
L'INTIMITÉ DU LUTH
Miguel HENRY, Luthiste et orchestrateur
Nous voici au 21e siècle et depuis quelques décennies seulement le luth européen retrouve une faveur longtemps perdue.
Avec le temps, la pratique de cet instrument n’est plus l’apanage de quelques guitaristes curieux d’instruments autrefois prestigieux : il peut désormais se pratiquer dès l’enfance. Alban Tixier fait partie de ces « enfants du luth », qui sont luthistes non pas de s’être éloigné d’un premier instrument, mais d’être en quelque sorte « tombé dedans ». On pourrait estimer cette évolution peu importante, car le luth demeure un instrument peu connu aujourd’hui. C’est pourtant à mon sens une situation très particulière de passerelle entre les époques. Pour préciser ma pensée, il est plus simple de prendre l’exemple des langues. Notre langue maternelle n’est pas seulement pour nous celle dans laquelle nous possédons une grande compétence technique : elle est cette langue avec laquelle nous avons une grande intimité, une connexion qui nous dépasse car elle plonge dans notre mémoire enfantine. Et lorsque l’on apprend une langue étrangère tardivement, quel que soit notre talent dans cet apprentissage, il est peu probable qu’elle puisse cesser tout à fait d’être une langue « étrangère ». Ce qui me frappe en écoutant le jeu d’Alban Tixier, c’est cette sensation d’une intimité très grande avec le luth. Le luth est son jardin, ce qui confère une profondeur au lien entre son instrument et lui. Il est bien entendu possible d’établir un lien profond avec un instrument étudié tardivement, mais il me semble que ce lien est d’une nature différente, et la profondeur du lien repose davantage sur une volonté perçue. Il y a dans ce cas une forme d’exil consenti, par goût d’un ailleurs. Ce jardin possédé par Alban Tixier repose sur la transmission façonnée par de nombreux musiciens du « mouvement baroque » qui s’est épanoui à partir des années 70. Il est inutile de citer tous ces musiciens, mais dans le cas de la France, il est aujourd’hui incontournable de citer Pascale Boquet, actuelle présidente de la Société Française de Luth, grande interprète et pédagogue à la production époustouflante. Une bonne partie du répertoire réuni par Alban Tixier se présente à moi comme un hommage à cette figure importante du luth. Car en procédant à un choix intime, il nous donne, je crois, une image de son propre cheminement, de son propre apprentissage du luth. Et celui-ci se fondant sur la transmission qu’il a reçue, une filiation se dessine. Ce répertoire présente en majorité des danses et, avec ce genre associé à l’intimité dont je parlais plus haut, une grande légèreté et une grande simplicité se dégage de ce disque. Ces danses étaient un répertoire très connu, qu’il était tout à fait naturel de jouer au quotidien, pour le plaisir. Et c’est à ce propos que l’écoute de ce disque me fait penser à une passerelle entre les époques. Le luth était un instrument idéal pour partager de la musique. Les étudiants en particulier apprenaient souvent à en jouer. Le luth permettait de passer des moments agréables, en rejouant les musiques familières à la maison. De ce disque émane cette familiarité très grande, pleine d’humilité et sans esprit de démonstration, qui le rend extrêmement accessible à tout public. C’est dû bien sûr aux choix artistiques d’Alban Tixier, mais aussi, je crois, à sa relation intime au luth.